Un printemps saumoné...
(dans TECHNIQUES Chasse et Pêche – 2000)
par : Paul Laramée
L’auteur est biologiste de la faune aquatique et guide de pêche au lac Memphrémagog
Enfin le printemps! Après avoir passé un hiver en quasi-hibernation à l’écart des équipements de pêche conventionnels, à rêver, à lire des revues spécialisées sur la pêche, à regarder des émissions sur la pêche sportive, sans compter la visite des différents salons qui attisent notre désir de pêcher sur un des magnifiques plans d’eau du Québec, il nous est enfin permis de vivre avec passion l’ouverture de la pêche. Mais il ne faut pas laisser le hasard dicter notre passion, il faut la stimuler! Voici comment on peut transformer une journée d’ouverture ennuyante en une journée productive et intéressante.
Le dégel des glaces et des poissons…
Au départ des glaces, l’air ambiant, relativement plus chaud, fait passer graduellement la température de l’eau de surface de 0° C à 4° C. C’est à cette température que la densité de l’eau est la plus élevée; elle est donc plus lourde. À 4° C, l’eau de surface » coule » vers le fond pour laisser en surface une eau légèrement plus froide qui se réchauffe à son tour jusqu’à 4° C, et ainsi de suite. Ce réchauffement de surface entraîne un brassage printanier qui » réveille » la faune aquatique et déclenche chez celle-ci les mécanismes d’alimentation. C’est à ce moment que la pêche en surface est à son meilleur.
Pour bon nombre de pêcheurs, le printemps est synonyme de pêche aux salmonidés. Une de ces espèces, le touladi, connue aussi sous les noms de truite grise, ou plus simplement » grise « , représente un réel défi pour le pêcheur parce qu’elle effectue au printemps des migrations des secteurs profonds et sombres du lac vers les zones moins profondes, même à la surface, pour s’alimenter. Les micro-organismes que constituent le plancton, ainsi que les insectes, les poissons fourrage et les poissons prédateurs deviennent plus actifs; tout comme le touladi, ces derniers deviennent frénétiques dans les faibles profondeurs d’un lac. Quelques semaines après la fonte des glaces, le lac reprend vie et il est tout à l’avantage du pêcheur de comprendre et de profiter de certains phénomènes naturels afin d’améliorer ses chances de succès.
Avec la progression printanière, l’eau de surface finit par atteindre une température de 10° C. À cette température critique (qui correspond au » turn-over » printanier au sud du Québec), les touladis et autres salmonidés sont rarement capturés près de la surface car ils semblent migrer vers les plus grandes profondeurs en suivant plus ou moins les températures de leur habitat préféré qui se situe, en théorie, entre 8° et 11° C. À cette période et jusqu’au moment où la température du lac se stabilise à différentes profondeurs, la pêche au touladi est plus difficile car ces poissons fréquentent à peu près toutes les profondeurs et sont plus ou moins reliés aux structures de fond du lac. Avant que la thermocline ne s’installe, cette période de pêche est plutôt difficile pour le pêcheur moyen et autant vous le dire, pas facile non plus pour les pêcheurs expérimentés et j’inclus les guides de pêche…
Le choix d’un lac
Le choix d’un lac doit se faire en fonction de sa capacité à supporter une population intéressante pour l’espèce de poisson convoitée. Plusieurs facteurs font qu’un lac est plus productif qu’un autre pour la pêche au touladi. Il faut savoir que ce dernier, comme tous les autres salmonidés, à l’exception de la truite arc-en-ciel, fraye à l’automne.
À cette période, le touladi migre des profondeurs d’un lac pouvant facilement excéder 40 mètres, pour aller frayer en eau peu profonde sur des fonds rocheux, généralement à moins de 12 mètres de profondeur, parfois même dans moins d’un mètre d’eau. Le touladi fraye rarement en rivière. Après le frai, les touladis se dispersent à diverses profondeurs, souvent « collés au fond » et demeurent ainsi dispersés durant tout l’hiver.
Au printemps, phénomène de migration du touladi est également observé mais, cette fois, il est relié à l’alimentation. Le touladi est une espèce prédatrice et opportuniste qui se nourrit d’une grande variété d’organismes tels les crustacés, insectes aquatiques et terrestres et même de petits mammifères. Quoique diversifiée, son alimentation est surtout constituée de plusieurs espèces de poissons, y compris la sienne, de ciscos de lac ou d’éperlans arc-en-ciel. Afin d’orienter sa stratégie de pêche, le pêcheur doit s’informer auprès de la Société de la faune et des parcs du Québec (FAPAQ) afin de connaître, pour un plan d’eau en particulier, les espèces de poissons fourrage les plus abondantes et celles qui font partie de la diète du touladi.
Ciscos, corégones et éperlans arc-en-ciel
Ces espèces de poissons fourrage peuvent constituer de 60 à 90% de la diète alimentaire du touladi. Dans les lacs situés plus au nord, de fortes concentrations de ciscos et de corégones sont disponibles pour l’alimentation du touladi. Cependant, dans les plans d’eau situés plus au sud du Québec, comme le lac Memphrémagog, c’est l’éperlan arc-en-ciel qui compose principalement la diète alimentaire du touladi; les ciscos et les corégones sont absents de ce lac.
Les meilleurs lacs pour la pêche au touladi à l’ouverture sont sans contredit ceux qui abritent une très forte concentration de poissons fourrage dans les zones peu profondes. Et qui dit poissons fourrage, dit ciscos et corégones. Pourquoi? Parce que ces espèces frayent tard à l’automne (novembre – décembre) à de faibles profondeurs (moins de 7 mètres) et que l’éclosion de leurs oeufs correspond à peu près à la débâcle printanière. Ces alevins mis en disponibilité constituent une source alimentaire très abondante pour plusieurs espèces de poissons, incluant les ciscos et les corégones qui attirent à leur tour le touladi.
Dans les lacs où l’éperlan est l’espèce dominante, comme au lac Memphrémagog, la stratégie de pêche est un peu différente. On doit, cette fois-ci, concentrer les efforts dans des zones un peu plus profondes du lac, soit les plateaux situés à des profondeurs de 7 à 15 mètres. Toutefois, le touladi peut aussi se retrouver en surface pour plusieurs raisons. Par exemple, certains plans d’eau ont des tributaires où la température de l’eau est significativement plus élevée que celle du lac récepteur. À ces endroits, une plus grande activité alimentaire est observée. Vers la troisième semaine d’avril, les éperlans qui frayent la nuit dans les tributaires peuvent se rassembler à l’embouchure de ceux-ci quelques semaines avant le frai pour s’alimenter. Le touladi étant opportuniste, il peut s’alimenter dans des profondeurs d’eau de moins de trois mètres et profiter du rassemblement des éperlans qui se reproduisent. Le touladi peut facilement, dans une même journée, migrer d’une profondeur de 30 mètres pour aller se nourrir en surface et retourner aussitôt en profondeur. Il ne faut donc pas négliger la pêche en surface tôt le matin et tard en soirée au moment où les poissons fourrage sont actifs dans les premiers mètres de l’onde.
L’an dernier, à l’ouverture de la pêche au lac Massawippi, la température de l’eau de surface était en moyenne de 5° C. Une lecture de la température de l’eau du lac à l’embouchure d’un important tributaire indiquait 8° C. C’est la température optimale de frai de l’éperlan arc-en-ciel. La profondeur d’eau à cet endroit était de moins de 2 mètres. Ce matin-là, les éperlans et les touladis étaient au rendez-vous…
Techniques de pêche
Peu importe la technique de pêche utilisée ou le type de leurre préféré, il faut concentrer les efforts de pêche en surface le matin et le soir, tandis qu’en milieu de journée, il faut se concentrer au-dessus des plateaux adjacents aux plus grandes profondeurs du lac. Lorsque le nombre de pêcheurs le permet, il faut laisser » traîner » une ligne en surface afin de » tâter le terrain » pour les touladis ou les autres salmonidés, comme la ouananiche, qui peuvent errer en surface. Les plateaux sont parfois rocailleux, quoique les plus productifs aient un substrat constitué de substances meubles telles que la boue ou le sable. Ces structures sont colonisées plus tôt au printemps par les plantes aquatiques, les insectes et les poissons fourrage qui attirent à leur tour le touladi.
Au printemps, la pêche à la traîne demeure la méthode la plus populaire; lorsque pratiquée adéquatement, elle est précise et efficace. Pour inciter le touladi à mordre, il faut activer le leurre afin qu’il adopte des mouvements irréguliers; il faut éviter à tout prix de pêcher à une vitesse constante. Je ne connais pas d’espèces de poissons qui nagent à vitesse constante et en ligne droite! Les mouvements erratiques des poissons sont naturels et déclenchent plus facilement l’attaque d’un prédateur comme le touladi.
Il y a plusieurs façons d’imprimer un mouvement au leurre. Si on ne pêche pas au » downrigger « , la méthode la plus simple est de » pomper » régulièrement et délicatement la canne à pêche de l’avant vers l’arrière, tout en gardant un contact avec le leurre en revenant vers l’arrière. Lorsque les eaux sont agitées, on peut utiliser des porte-cannes à pêche installés sur les plats-bords de l’embarcation et incliner la partie avant de la canne à pêche, de sorte que le bout de celle-ci touche à l’eau. Le mouvement de bascule bâbord-tribord du bateau permet au bout de la canne de sortir de l’eau de façon irrégulière. En sortant de l’eau, la canne à pêche » fouette » vers l’avant et active le leurre par des mouvements saccadés. Après quelques heures de pêche à » pomper » la canne, voilà un moyen simple de se reposer les bras tout en augmentant les chances de captures.
Une autre façon de briser la régularité est de pêcher en naviguant en serpentin. Cette technique est régulièrement utilisée lorsqu’on pêche à l’aide d’un « downrigger ». Il s’agit donc de naviguer en zigzaguant. Cette technique permet un ralentissement du leurre sur le côté où se dirige l’embarcation, alors que de l’autre côté, la vitesse du leurre est accélérée. Cette oscillation de gauche à droite permet de briser la régularité de la vitesse de traîne. L’attaque survient généralement du côte où le leurre ralentit.
Il faut aussi essayer les petits dériveurs de surface qui s’attachent directement à la ligne et qui permettent de pêcher dans les plus petites échancrures et les hauts-fonds difficiles d’accès en bateau. Par ailleurs, le touladi dérangé par le passage du bateau se déplacera vers les côtés en direction des dériveurs, ce qui augmente les chances de captures. Plus le touladi est près de la surface, plus il est méfiant et plus cette technique s’avère efficace.
Vitesse de pêche à la traîne
Le poisson étant un animal à sang froid, il est léthargique au printemps; on doit donc présenter le leurre à une vitesse plutôt lente, souvent à moins de 2,4 km/h. Cette vitesse correspond à une distance représentant moins de huit fois la longueur d’une embarcation de 16 pieds en une minute! Il faut aussi expérimenter de plus grandes vitesses. Certaines journées, le touladi mord à des vitesses très lentes, à d’autres, il attaque des leurres allant à des vitesses supérieures à 4 km/h ! De façon générale, j’ai observé que plus le touladi est péché dans de faibles profondeurs, plus la vitesse de traîne doit être élevée. Cette observation est également bonne pour d’autres salmonidés, telles les ouananiches et les truites arc-en-ciel.
Les Streamers
C’est mon type de leurre préféré au printemps car il offre un grand choix de couleurs et en utilisant des matériaux de montage différents, ce leurre artificiel donne un effet visuel et une action imitant efficacement la proie convoitée par le touladi. Parmi mes mouches préférées imitant l’éperlan arc-en-ciel (smelt, en anglais) il y a la MEMPHREMAGOG SMELT, la MAGOG SMELT. la GOVERNOR AIKEN, la série GHOST (GREY. GREEN ET BLACK) sans oublier la très performante PAUL & PAUL SMELT popularisée par l’auteur et le monteur de mouches Paul LeBlanc. Quant au cisco de lac. on peut utiliser une MEMPHRÉMAGOG SMELT avec une parure plutôt foncée car elle imite très bien le cisco de lac (photo 3). Le choix de mouches reconnues pour la pêche au touladi ne s’arrête pas là. Il y a aussi la WHITE MARABOU MUDDLER, la NINE-THREE, la MICKEY FINN, la PINK LADY et j’en passe. Avec un bon arsenal de streamers de différentes couleurs et grosseurs (n’hésitez pas à pêcher » petit » au printemps) je suis bien préparé pour la plupart des situations de pêche. Je vous conseille d’en faire autant.
La couleur et les leurres
Plus que la couleur, l’action des mouches, la vibration des cuillères et des poissons-nageurs, ainsi que la vitesse à laquelle on pêche sont les facteurs importants qui incitent les poissons à mordre. Les salmonidés semblent toutefois démontrer une nette préférence pour certaines couleurs dans des conditions météorologiques particulières. Une journée nuageuse ou venteuse limite la pénétration de la lumière dans l’eau. Les couleurs vives comme le rosé, l’orangé ou le vert fluorescent semblent exciter davantage le touladi. Les versions attractives des leurres donnent de meilleurs rendements. Pendant les journées ensoleillées, les cuillères ou poissons-nageurs argentés (chromés) et bleues sont plus productifs; les versions imitatives sont de mise. Il s’agit de suivre la même logique avec les mouches artificielles, soit celle des couleurs éclatantes par journées sombres et venteuses et, pour les journées ensoleillées, des mouches claires et plutôt argentées. Il s’agit bien sûr d’une règle générale et dans certaines occasions « assez souvent même » j’y ai dérogé afin de trouver la combinaison gagnante de la journée, particulièrement lorsque le lac est d’un calme plat sous un soleil de plomb. . .
Ici, l’appellation « Streamer » fait allusion aux « Bucktails » car les mouches sont montées en utilisant des poils de queue de chevreuil.
L’adaptabilité
Pour devenir un bon pêcheur de touladi, il faut être souple et capable de s’adapter aux conditions du moment. Certains pêcheurs ne jurent que par un type de leurre, au risque de revenir bredouilles au quai en disant : » Elles ne voulaient pas mordre aujourd’hui… « .
Les changements climatiques, telles la direction et la force des vents ou les variations de la température de l’eau ont un impact important sur les déplacements et les habitudes alimentaires des poissons.
La pêche printanière du touladi et des autres salmonidés est un réel défi. La connaissance du lac, de ses plateaux et de ses principaux affluents sont des éléments essentiels à la capture des spécimens de ces espèces. Pour réussir, il faut utiliser des stratégies et oser, tout en diversifiant au maximum les types de leurres et leur présentation. Ce n’est certainement pas une pêche monotone, mais le succès en fait une expérience très valorisante, voire » grisante « . Avec-la connaissance, l’observation et la pratique, vous aurez la chance de profiter davantage de cette merveilleuse saison et vous serez peut-être, comme le dit la chanson, » Heureux d’un printemps… ».