Truites Trophées en profondeur à la mouche

Truites Trophées en profondeur à la mouche

(dans SENTIER CHASSE-PÊCHE – 2000)

par : Jean Stéphan Groulx

Il y a près de deux ans, au milieu du mois d’août, j’ai accepté l’invitation d’un ami de l’Outaouais et me suis rendu dans la région de Val-des-Bois pour pêcher l’achigan. Après une journée où l’achigan à petite bouche coopéra de façon remarquable, mon ami me proposa d’aller rencontrer un pêcheur qui séjournait dans la réserve Papineau-Labelle. Selon lui, le pêcheur en question prenait régulièrement son «quota» de truites de 3 à 5 lb…et à la mouche s’il vous plaît! Un exploit digne de mention mais qui me laissait pour le moins perplexe. On entend souvent à la blague que la taille d’un poisson augmente à mesure que l’on s’éloigne du lac. Je supposai donc que la quarantaine de kilomètres qui nous séparait du chalet de la réserve avait probablement beaucoup à voir avec le format des truites capturées. Mais tout ceci piqua tout de même ma curiosité, et je me dis que de toute façon ça me donnerait l’occasion de parler de pêche avec du nouveau monde.

Après les présentations d’usage, la conversation dévia rapidement sur la pêche. Il faut dire que la douzaine de boîtes de mouches étalée sur la table de la salle à dîner constituait un centre d’intérêt majeur.
       – Pis, la pêche a été bonne?
       – Pas une maudite. J’ai essayé toutes mes mouches. Je ne sais pas ce qui se passe.

Le contraire m’aurait surpris. Il faisait chaud et le baromètre n’arrivait pas décider s’il devait descendre ou monter. Et de toute façon, chaque fois qu’on m’a parlé de truites indigènes de 3 lb et plus, soit je n’en ai jamais vu la couleur, soit elles n’ont pas passé l’ultime test de la balance.

       – Pourtant, hier ça mordait en masse. On en a pris cinq et la plus petite pesait 3 lb.
       – C’est dommage, j’aurais aimé voir ça, cinq grosses truites de même!
       – Pas de trouble, elle sont dans la glacière.

Dans la poche de mon blouson, ma balance électronique jubilait mais son plaisir fut de courte durée. Le contenu de la glacière me cloua le taquet : cinq «palettes», dont une qui devait faire tout près de 5 lb, comblaient la moitié de la glacière. Je ne pus que féliciter chaleureusement Pierre Bélisle, le pêcheur en question. La balance resta dans ma poche et j’étais soudainement captivé par les propos de mon interlocuteur; il me fallait connaître sa technique.

Pierre Bélisle utilise les soies Deep Water Express de Scientific Anglers qui sont disponibles en poids de 500,700 ou 850 grains. C’est la profondeur qu’il cherche à atteindre qui guide son choix vers l’une des trois. Dans la même catégorie, Cortland offre les soies Kerboom en poids de 450 et 550 grains.

 
Un salmonidé comme les autres

C’est une vérité de La Palice : la pêche des salmonidés, qu’il s’agisse de mouchetée, de grise ou de ouananiche, est plus facile au printemps. La température fraîche, voire froide en surface, rapproche les poissons des pêcheurs, si bien qu’un équipement léger permet d’atteindre les poissons là où ils sont.

Puis, vers la fin de juin et le début de juillet selon la région, l’eau de surface se réchauffe, 

repoussant les salmonidés vers un repaire accessible aux seuls pêcheurs possédant un équipement approprié. En effet, qui penserait s’attaquer à la grise ou à la ouananiche en surface à la fin juillet? Probablement personne, puisque la ouananiche se retrouve dans la thermocline et la grise dans des fosses pouvant souvent atteindre plus de 100 pi de profondeur. Il en va d’ailleurs de même pour les pêcheurs de saumon du Pacifique dans les Grands Lacs.

Cependant, il en va souvent tout autrement pour la truite mouchetée. Même en pleine canicule, de nombreux pêcheurs vont traîner des leurres à moins de 10 pi de profondeur dans une eau dont la température est souvent beaucoup plus élevée que celle recherchée par la mouchetée. En fait ils continuent à pêcher comme au printemps. Pourquoi adopter un tel comportement seulement pour la mouchetée? La réponse est fort simple : ce sont nos yeux qui nous trompent!

Les ronds de gobage attirent immédiatement l’attention de n’importe quel pêcheur, car ils trahissent la présence de poissons. On se dit alors «II y a de la truite dans le coin!». Bien que ce soit vrai, il serait raisonnable d’affirmer qu’en été, ces ondulations sur l’eau sont généralement le fait de truitelles qui doivent profiter de la moindre occasion pour trouver leur pitance quotidienne. En fait elles se doivent d’ignorer la température de l’eau et de se ruer sur toute source potentielle de nourriture. Ce sont fort probablement ces petits sujets, que l’on peut d’ailleurs capturer en grand nombre à la surface même en juillet, qui expliquent pourquoi nous avons peu tendance à modifier notre technique de pêche à la mouchetée en été. Cela explique également pourquoi ces belles grosses truites qui composaient notre tableau de pêche du printemps semblent disparaître avec l’arrivée de l’été.

Poisson territorial d’embuscade, la mouchetée est une véritable opportuniste, et cela est encore plus vrai lorsqu’elle atteint une taille respectable. Bien installée dans un repaire dont la température ambiante lui convient, elle attend patiemment ses proies et c’est bien logique. Pourquoi dépenser de l’énergie à pourchasser de minuscules insectes en surface quand on peut attendre que quelque chose de comestible passe à proximité? Alors si l’on veut capturer des grosses truites, il faut leur présenter un leurre là où elles se trouvent, soit entourées d’eau dont la température se situe entre 12 et 15 °C (54 à 59 °F).

Pour atteindre cette zone cible, les pêcheurs peuvent s’attendre à devoir faire évoluer leur leurre à une profondeur variant entre 15 et 35 pi, la moyenne se situant entre 20 et 25 pi. Comme chaque lac est différent et que la température ambiante peut varier énormément d’une région à l’autre, seul un relevé de température ou la prospection à différentes profondeurs vous permettront de connaître la réponse. Mais je vous dirais que, règle générale, c’est aux alentours de 20 pi de profondeur que vous devrez effectuer vos recherches.

Au fond, mon Léon!

Pour atteindre efficacement le site de tenue estival des mouchetées de bonne taille, plusieurs techniques pourraient être utilisées : le downrigger, la ligne plombée, un lancer léger avec marcheur de fond ou un ensemble à moucher muni d’une soie calante. Bien que j’aie souvent entendu parler de pêcheurs ayant pris des truites dignes de mention avec l’une de ces méthodes de pêche en profondeur, leurs captures étaient sporadiques. Dans le cas de Pierre Bélisle, elles sont constantes. La clé de son succès : son approche permet un contact permanent et presque direct avec le fond, maintenant l’offrande dans le secteur cible.

Pierre pêche exclusivement à la mouche à la traîne. Bien que ça puisse sembler banal, c’est tout d’abord la soie qu’il utilise qui est inhabituelle. Cette soie torpille à noyau plombé mesure 10 verges et pèse 850 grains. Une telle densité fait caler cette soie à près de 7 po/s et permet d’atteindre facilement une profondeur, à la traîne, de 20 pi. Fabriquée par Scientific Anglers, cette torpille est également disponible en poids de 550 et 700 grains. Celles-ci descendent presque aussi vite que celle de 850 grains, mais il faudra sortir un peu plus de ligne de réserve pour atteindre la même profondeur. Dans la même catégorie, Cortland offre des soies semblables en poids de 450 et 550 grains sous l’appellation Kerboom.

Quelques-unes des artificielles préférées de Pierre Bélisle. En haut, de gauche à droite : nymphes et diverses versions de Woolly Buggers. En bas : streamers à poils et à plumes de différents formats.


Comme la soie est courte, soit le tiers de ta longueur habituelle, il faut mettre un peu plus de ligne de réserve dans le moulinet afin de maintenir un ratio de récupération qui ne vous donnera pas de tendinite chaque fois que vous récupérez la ligne. Comme ligne de réserve, Pierre emploie du Dacron de 30 Ib de résistance. La soie est reliée à la ligne de réserve par un nœud du clou et il en va de même pour le bas de ligne. Il n’utilise pas de système d’attache rapide pour deux raisons. La première, c’est qu’il pêche généralement dans des lacs à eau ultra claire et qu’une boucle d’attache en nylon tressé, beaucoup trop voyante, incite les truites à se méfier. La deuxième, c’est que ce genre d’attache a tendance à ramasser les brindilles et autres corps indésirables qui couvrent le fond.

Pour la partie terminale du montage, Pierre se sert d’un bas de ligne fuselé (encore une fois pour éviter les nœuds) de 9 pi dont le bout fin a 6 Ib de résistance. Mais comme il s’agit de pêche à la traîne et non au lancer, je me demande jusqu’à quel point une section de 9 pi de monofilament souple de 6 Ib ne ferait pas le même travail. En fait, c’est tout le bas de ligne qui serait plus discret… Il faudra que je l’essai l’été prochain.

En été, le menu des truites est essentiellement composé d’animalcules subaquatiques, comme des larves et nymphes d’insectes et, dans le cas des plans d’eau préférés de Pierre, de gamares (communément appelés crevettes d’eau douce). Les nymphes et les petits streamers (voir photo) sont donc les principales offrandes nouées au bas de ligne. Dès la première capture, et il en va de même pour les suivantes, notre pêcheur effectue un examen du contenu stomacal pour déterminer la préférence alimentaire du moment.

Wow les moteurs!

Je vous le dis tout de suite, si vous aimez la vitesse et que ça vous prend une touche aux cinq minutes pour ne pas trouver le temps long cette technique n’est pas pour vous, car il y a évidemment un prix à payer pour récolter ces ogresses à la queue carrée. Bien qu’il arrive parfois que les truites coopèrent au maximum et que vous puissiez en capturer une dizaine dans le même avant-midi, il faut parfois toute une journée pour en récolter quelques-unes. Mais bien sûr le poids moyen des captures est une récompense non négligeable pour un amateur de mouchetées.

L’efficacité de cette approche repose surtout sur un principe fort simple : maintenir la mouche dans la zone de confort des truites en tout temps. Pour ce faire, le sonar est pratiquement essentiel, à moins que vous ne connaissiez par cœur la bathymétrie du lac. Lorsque j’ai péché avec Pierre, c’est à environ 20 pi de profondeur que se trouvait la strate de température recherchée. C’est donc en suivant cette courbe bathymétrique que nous avons entrepris le tour du lac cette journée-là.

La vitesse de traîne est lente, ultra lente. En l’absence de vent, le réglage du moteur électrique est presque toujours au niveau le plus bas, et il arrive même que Pierre coupe le courant de temps à autre. Cet arrêt momentané permet à la mouche de redescendre au fond. Avec un peu de pratique, vous en viendrez à «sentir le fond» et à bien ajuster votre vitesse de traîne.

Pour ce qui est de la longueur de ligne à sortir pour atteindre le fond à cette vitesse réduite, seule l’expérience vous l’apprendra. Mais pour atteindre 20 pi, il faut sortir toute la soie (celle de 850 grains) et environ 5 pi de ligne de réserve. Si les truites se tiennent plus profondément, vous devrez sortir plus de ligne de réserve. Si c’est le contraire, soit que vous sortiez moins de ligne, soit que vous remplaciez votre soie par une plus légère.

Sonar et moteur électrique sont deux éléments pratiquement essentiels pour bien appliquer cette technique.


Si votre vitesse de traîne est correcte, la ligne devrait se trouver pratiquement à la verticale. En fait, vous péchez presque sous le bateau, ce qui permet une précision dans le suivi du tracé de traîne qu’il serait difficile d’obtenir avec une soie calante conventionnelle ou avec une ligne plombée, car il faudrait alors sortir plus de ligne que les quelque 30 pi de la soie torpille. Il en résulterait donc un «ventre» dans la ligne, lequel serait lourd à traîner et ne permettrait pas de suivre la ligne bathymétrique ciblée avec autant de précision.

Un peu de provocation

Avec une vitesse de traîne si lente, la mouche qui se trouve à l’extrémité du bas de ligne ne présente que bien peu d’attrait. Pour lui donner un peu plus de vitalité et la rendre plus alléchante aux yeux des truites, Pierre Bélisle «pompe» continuellement sa canne. La très faible élongation de la ligne fait en sorte que le mouvement imprimé au scion de la canne sera sensiblement le même que celui qui animera la mouche; regardez le scion de votre canne tout en imaginant votre mouche sous l’eau pour vous aider à trouver l’action que vous devez lui donner. En plus de rendre l’artificielle plus provocante, ces mouvements permettent de savoir immédiatement si l’hameçon a ramassé des brindilles ou de l’herbe; comme la ligne est très courte, tout changement dans l’action de la mouche est instantanément transmis à la canne.

Un autre élément à considérer, c’est que les truites de taille respectable ne pardonnent pas les erreurs. Alors qu’il m’est fréquemment arrivé de capturer des truitelles avec des mouches qui avaient «fait la guerre», dans le cas des grosses mouchetées que Pierre poursuit il faut que l’artificielle soit impeccable. La moindre imperfection commande un changement de mouche.

La même règle s’applique pour le nœud d’attache. Il doit être discret et le corps de la mouche doit être bien parallèle au bas de ligne. Si vous utilisez le nœud de tortue, la traction se fera obligatoirement de la bonne façon puisqu’il se noue sur la hampe. Si par contre vous vous servez d’un nœud d’œillet, comme le nœud d’anguille ou le Palomar, il faut vous assurer que la mouche n’est pas à angle par rapport au bas de ligne. Vous devriez d’ailleurs vérifier régulièrement l’état de votre mouche et la façon dont elle se présente. Comme la ligne n’est pas très longue, cette opération qui ne prend qu’une minute ne devrait pas être négligée. Rappelez-vous la mise en garde : les grosses truites ne pardonnent pas!

Patience…

Pierre a mis plusieurs années et consacré des centaines d’heures pour développer cette approche. Il ne faut donc pas vous attendre à faire la pêche de votre vie la première fois que vous essayerez cette technique. Il faut être armé d’une patience à toute épreuve et vous attendre, même après de longues heures de traîne, à revenir bredouille. Mais lorsque vous aurez maîtrisé la manipulation de votre attirail et que les truites coopéreront, attendez-vous à ce que chaque ferrage soit peut-être le début du combat avec la truite de votre vie!!!