Pêcher le Touladi, c'est comme chasser le gros gibier
(dans SENTIER Chasse & Pêche – 1989)
par : Jeannot Ruel
Pour moi, comme pour bien d’autres adeptes, la pêche du touladi, c’est le grand défi! Notre «truite grise», c’est le poisson des grands espaces et des grandes profondeurs, un poisson qui vit dans un monde mystérieux et qui possède une nature qu’on pourrait qualifier d’insaisissable.
La grise, ce n’est pas un adversaire pour pêcheur impatient ou avide, car chaque prise résulte habituellement d’une consécration de beaucoup de temps et d’efforts de la part de l’adepte. Pêcher la truite grise, c’est comme chasser le gros gibier : le succès ne vient pas facilement, mais la récompense est de taille!
La nature évasive même du poisson fait qu’il a toujours su conserver une facette mystérieuse de sa personnalité. Bien que la truite grise est, biologiquement parlant, assez bien connue, il n’est pas aussi facile de rassembler des données fiables et applicables en général au sujet de ses habitudes de vie tout au long de l’année.
Cette difficulté se voit encore augmentée par le fait que l’espèce peut fréquenter des habitats fort différents de l’un à l’autre; les habitudes particulières de la population d’un plan d’eau donné ne sont donc pas nécessairement applicables à un autre endroit. C’est pour cette raison que les «experts» de pêche de la truite grise ne courent pas les rues et qu’il s’agit presque toujours de gens qui détiennent une vaste expérience et une bonne connaissance de leur plan d’eau favori.
Il faut également dire qu’avec la pression de pêche moderne, les populations de touladis ne sont plus ce qu’elles ont déjà été, du moins dans les plans d’eau facilement accessibles. Il est assez facile de pointer deux principales raisons à cette apparente difficulté grandissante de captures de grises.
D’abord, il faut penser qu’une truite grise peut mettre en moyenne une dizaine d’années avant d’atteindre la taille respectable d’une soixantaine de centimètres (25 po) de longueur.
Deuxièmement, il faut également songer que le monde des profondeurs représentait jusqu’à récemment un territoire pratiquement vierge. Seuls les pêcheurs expérimentés à la ligne plombée parvenaient à le prospecter avec un certain degré d’efficacité; de nos jours, avec l’équipement technologique disponible, la prospection systématique de ce monde est à la portée de n’importe qui.
Tout cela fait que les populations de grises sont plus «sollicitées» aujourd’hui. À cause du temps exigé pour la production d’individus de taille respectable, cette pression de pêche a un impact sur le rendement naturel et, conséquemment, sur la qualité de pêche. D’autant plus que cette même pression de pêche peut finir par créer une «éducation» des poissons qui deviennent moins enclins à se précipiter sur la première offrande venue.
Un troisième élément qui explique la relative fragilité des populations de truites grises est la pauvreté de leur habitat. Typiquement, les lacs aux eaux claires et profondes qui abritent la truite grise ne sont pas de grands producteurs de nourriture. Quand on pense que la productivité d’un lac typique à truites grises peut varier de 0,2 à un peu plus de 1 kilogramme de poisson à l’hectare, cela ne représente pas une masse de captures potentielles pour chaque pêcheur d’un plan d’eau.
Théoriquement, un tel lac de 100 ha pourrait donner 100 truites de 1 kg ou 50 truites de 2 kg… s’il y a déjà une bonne population de base et si les sites de fraye sont productifs!
Ce qui précède n’est pas mentionné dans le but de décourager les adeptes potentiels, mais bien pour jeter une lumière réaliste sur le vécu de ce genre de pêche. Il n’est donc pas question ici de penser quantité, mais l’aspect qualité n’en est que plus présent.
Je ne sais pas si je puis me permettre cette généralisation, mais il me semble que les pêcheurs à la ligne plombée du bon vieux temps se concentraient plus souvent qu’autrement à «gratter le fond» avec leur attirail, et que c’est ainsi qu’ils réussissaient la plupart de leurs captures. Avec l’avènement du sonar et du downrigger, plusieurs pêcheurs se sont plutôt concentrés à pêcher entre deux eaux, là où ils avaient souvent repéré des bandes de grises et où l’utilisation du downrigger est plus aisée.
Il n’est pas ici question de dénigrer cette méthode de pêche, car elle est très plaisante à utiliser et très efficace… quand les conditions s’y prêtent. Et ceci m’amène à risquer une autre généralisation personnelle: les bandes de truites grises se tenant en suspension semblent se retrouver plus souvent dans les très grands plans d’eau en période estivale. En d’autres temps et en d’autres lieux — dans les lacs de dimension moyenne, par exemple —, les grises continuent d’affectionner les profondeurs, mais semblent préférablement choisir leurs sites de tenue près du fond.
Je tiens à dire tout de suite qu’il ne s’agit pas là d’une règle stricte et qu’il existe bien sûr des exceptions, dont la principale me semble représentée par la disponibilité passagère d’une source de nourriture abondante et concentrée. C’est d’ailleurs là un attrait supplémentaire de la pêche de la grise: on n’a pas fini de trouver des exceptions aux règles et le champ d’expérimentation est tout grand ouvert.
Je me permets quand même de partager avec vous les observations d’un «vieux maniaque» de cette pêche et d’expliquer les raisons logiques qui m’amènent à la mise en pratique d’une technique qui m’apparaît la plus efficacement applicable, à chaque période de la saison de pêche.
Encore ici, il m’apparaît très important de faire une distinction préalable avant de se lancer à l’assaut du plan d’eau qui vient de se libérer de sa couverture de glace. Essayez de savoir si les populations de poissons-appâts de ce plan d’eau sont dominées par l’éperlan ou par les corégones et ciscos. La raison de cette distinction est simple: le premier fraye au printemps, les autres à l’automne, ce qui peut apporter une variation importante dans le type d’endroits où la nourriture de la grise sera concentrée.
Au Québec, l’éperlan représente une espèce introduite dans plusieurs plans d’eau, de sorte qu’il devrait être possible de connaître sa présence par le bureau du MLCP de la région concernée. Même s’il ne contient pas d’éperlans, votre lac peut être habité par des menés indigènes qui frayent au printemps, et la situation reviendrait alors sensiblement au même. Quant aux corégones et ciscos, on les retrouve habituellement dans les lacs nordiques de bonne dimension ainsi que dans les grands réservoirs.
En présence d’éperlans (ou de menés de lac), les abords des embouchures de tributaires sont les endroits de prédilection pour la pêche de la grise en tout début de saison. Les montaisons massives représentent pour elle une occasion en or de s’empiffrer après un long jeûne hivernal, et la grise n’est pas poisson à dédaigner ce genre d’opportunité.
Dans le cas où les corégonidés représentent la source de nourriture principale, l’affaire est un peu moins simple. Les mouvements des bandes de poissons-appâts peuvent se faire n’importe où sur le plan d’eau, mais les abords des embouchures et des berges en général constituent quand même de bons points de départ. C’est là que l’eau se réchauffe le plus vite et que l’activité des plus bas maillons de la chaîne alimentaire est la plus susceptible de se tenir, présentant ainsi les meilleures chances d’attirer les poissons-appâts et, conséquemment, les poissons prédateurs.
D’une façon ou de l’autre, cette période suivant le départ des glaces en est une à haut potentiel de succès de pêche. A cause du réveil même de toute la nature, on dirait que chaque élément de la chaîne alimentaire cherche à en profiter au maximum. C’est une période de renouveau, marquée par un regain d’activité fébrile généralisée, et la grise ne fait pas exception. C’est un des rares temps de l’année où vous pouvez arriver à provoquer une grise à mordre, même si elle s’est déjà gavée à satiété.